56_2024-2025/48 - Pétition pour l'application du droit pénal belge dans les cas de harcèlement et discrimination au sein des institutions de l'UE
Pétitions
Il n'est pas prévu de soutenir cette pétition.
56_2024-2025/48 - Pétition pour l'application du droit pénal belge dans les cas de harcèlement et discrimination au sein des institutions de l'UE
Auteur: Jean-Marc Colombani
Objet de cette pétition: faire respecter strictement par les institutions de l'UE établies en Belgique les règles de droit essentielles et le contrôle Juridictionnel applicables à tous les employeurs belges en matière de harcèlement moral et discrimination au travail. Mettre fin aux pratiques par lesquelles certaines institutions de l’UE se dérobent illégalement à l’action des instances Judiciaires pénales belges en abusant des immunités de juridiction prévues par le protocole №7 sur les privilèges et immunités annexé au traité sur le fonctionnement de l’UE, en méconnaissant délibérément les principes fondant l’ordre juridictionnel dans l’UE et ses Etats membres, voire en niant expressément et formellement toute compétence de la Justice pénale belge, comme dans le cas du Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE).
Résumé : Une intervention de la Chambre des Représentants pourrait rectifier l'anomalie juridique et politique constituée par l'apparente soustraction des institutions de l'UE aux règles de droit commun développées pourtant en partie à leur initiative et par la reconnaissance insuffisamment claire par certaines administrations de l'UE, voire leur contestation de la compétence exclusive des juridictions pénales belges pour reconnaître et sanctionner les faits de harcèlement et discrimination commis sur le territoire belge, conformément aux dispositions applicables du droit pénal belge.
Une intervention de la Chambre pourrait également contribuer à corriger la divergence manifeste entre les pratiques des institutions de l'UE en matière de traitement des faits de harcèlement et de discrimination perpétrés sur le territoire belge et le respect des principes généraux stipulés par les directives pertinentes de l'UE, par la convention 190 de l'Organisation Internationale du Travail, ainsi que par les articles 6 et 13 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme, au moment où le projet d’adhésion de l'UE à cette Convention va se concrétiser.
La Chambre pourrait utilement envisager un ensemble d'actions visant à aligner strictement les règles et disciplines appliquées par ces institutions en matière de lutte contre la discrimination et le harcèlement au travail sur les règles et disciplines fondamentales que le droit pénal belge impose à tous les employeurs établis en Belgique. Ces actions pourraient inclure une initiative législative éventuelle, une mission d’enquête et d'analyse confiée à l’une de ses commissions, un dialogue politique avec la Commission, le Parlement Européen et les autres institutions de l'UE établies en Belgique ou des recommandations adressées au Gouvernement au sujet d’initiatives que l’Etat belge pourrait prendre au sein du Conseil de l’UE ou auprès du Tribunal de l’UE.
Dans cette perspective, et plus spécifiquement, la Chambre pourrait :
- Confirmer et préciser l'obligation absolue pour les institutions de l'UE établies sur le territoire belge de respecter la législation pénale belge pertinente et la compétence des juridictions pénales belges, en écartant toute interprétation abusive des immunités de juridiction accordées à ces institutions suggérant que ces institutions et leurs employés pourraient de facto se dérober aux dispositions du droit pénal belge visant les actes de harcèlement moral et de discrimination au travail commis sur le territoire belge;
- Éliminer tout doute quant à la supposée non application aux institutions de l'UE et aux employés de ces institutions des règles essentielles et des principes fondamentaux en matière de lutte contre le harcèlement énoncés par les directives adoptées par l'UE, ainsi que par les conventions pertinentes de l'Organisation Internationale du Travail auxquelles la Belgique et les autres Etats membres de l’UE sont parties;
- Inviter le Gouvernement à suggérer aux institutions de l’UE de mieux aligner sur la définition des faits de discrimination, harcèlement moral et violence au travail telle qu'elle est exprimée dans la législation pénale belge la définition de ces faits retenue par le statut des fonctionnaires de l'UE et le régime applicable aux autres agents de l'UE, et précisée par leurs règles de mise en œuvre ;
- Confirmer l'obligation pour les institutions, agences et administrations de l'UE de s'abstenir strictement de toute mesure visant à empêcher ou dissuader les employés victimes de faits de harcèlement ou de discrimination en Belgique de saisir les instances judiciaires pénales belges compétentes ;
- Inviter le Ministre de la Justice et le Ministre des Affaires Etrangères à prendre toutes les mesures pratiques requises pour obtenir systématiquement des institutions de l’UE que, faute de pouvoir légitimement invoquer une atteinte à des intérêts supérieurs de l’UE, elles répondent positivement et sans délai aux demandes de levée d’immunité qui peuvent leur être formellement adressées par le Parquet par l’intermédiaire du SPF Affaires Etrangères pour mener les procédures judiciaires nécessaires pour établir la réalité de délits ou infractions commis par des employés de ces institutions sur le territoire belge;
- Éventuellement, inviter les Ministres compétents à envisager que, à la première occasion appropriée, l’Etat belge saisisse le Tribunal de l’UE pour faire reconnaître la violation du protocole №7 annexé au traité sur le fonctionnement de l’UE que constituerait de la part d’une institution de l’UE un refus sans motivation valide de se conformer aux demandes de levée d’immunité initiées par le Parquet.
Objectifs généraux de la pétition et effets attendus
- Les institutions de l'UE ne devraient plus pouvoir s'affranchir des règles et disciplines générales appliquées à tous les employeurs établis en Belgique et ne devraient plus se soustraire pratiquement à la compétence de la justice pénale belge, ni a fortiori nier expressément cette compétence, comme le fait le Service Européen pour l’Action Extérieure (SEAE).
- LUE a accompli récemment un travail législatif ambitieux pour traduire dans le droit européen la perception croissante au sein des sociétés de l'UE de la nocivité des agissements de harcèlement moral et de discrimination au travail. Au niveau mondial, l'UE et ses Etats membres ont également contribué très activement à renforcer les règles définies par l'Organisation Internationale du Travail pour prévenir la violence et le harcèlement au travail, notamment à travers la Convention 190, adoptée en 2019 et applicable au secteur privé comme au secteur public.
Malgré ces efforts soutenus de l'UE et de ses Etats membres et malgré l'ambition politique explicite qui les a inspirés, les institutions de l'UE et leurs relations avec leurs propres employés apparaissent paradoxalement rester soustraites dans une très large mesure au système de règles et aux procédures juridictionnelles visant à prévenir et réprimer le harcèlement et la discrimination au travail qui s'appliquent pourtant désormais théoriquement à tous les employeurs de l'UE, dont en particulier tous les employeurs établis sur le territoire belge, à l’instar des institutions de l’UE.
Certaines de ces institutions, dont en particulier et de manière explicite le SEAE, s'exonèrent elles-mêmes d'obligations et disciplines générales pour les employeurs inscrites dans des directives de l'UE ou découlant d'accords et conventions signés et ratifiés par les Etats membres. Cette auto-exonération repose sur le motif fallacieux que les directives, accords et conventions ne seraient juridiquement opposables qu'aux Etats et que les situations de harcèlement et de discrimination au travail dans les administrations de l'UE ne relèveraient que de la compétence exclusive du Tribunal de l'UE et de la Cour de Justice de l'UE, qui statuent essentiellement sur l'application du statut des fonctionnaires et le régime applicable aux autres agents de l'UE, qui seraient «le seul jus specialis» applicable en matière d'affaires de harcèlement et discrimination, comme l’a en particulier affirmé catégoriquement et de manière erronée le SEAE dans un écrit formel.
En d'autres termes, les institutions de l'UE pourraient, conformément à leur rôle prévu par les traités, avoir pris l'initiative d'introduire dans le droit européen des dispositions contraignantes ambitieuses en matière de prévention et de sanction du harcèlement et de la discrimination au travail, et ne pas se considérer elles-mêmes tonuos do respecter strictement les règles et pratiques essentielles qu'elles auraient promues pour tous los autres employeurs.
- Il faut remédier au défaut d'application aux administrations de l'UE et à leurs employés des règles essentielles et des mécanismes juridictionnels pénaux applicables à tous les employeurs et tous les travailleurs de Belgique pour corriger la moindre protection des victimes de faits de harcèlement et de discrimination au sein des administrations de l'UE établies en Belgique et dissiper l'idée qu'il y aurait un régime d'impunité pénale bénéficiant à ces administrations et à leurs employés
Il n'est pas contestable que le Tribunal de l'UE et la Cour de Justice de l'UE exercent un contrôle juridictionnel rigoureux sur l'application de la loi par les institutions de l'UE et qu'il existe dans le statut des fonctionnaires de l'UE et dans les réglementations précisant son application des dispositions prohibant expressément le harcèlement moral et la discrimination au travail. Mais il n'est pas davantage contestable que ces dispositions spécifiques aux institutions de l'UE sont de manière générale moins protectrices des droits des victimes que les législations nationales de plusieurs Etats, dont en particulier la Belgique, et moins protectrices que les directives de l'UE que ces législations nationales ont transposées. Il n'est enfin pas non plus contestable que la doctrine développée par les juges de l'UE en matière de harcèlement moral et discrimination au travail apparaît fondée sur une vision plus restrictive des faits de harcèlement et de la responsabilité des auteurs de tels faits et moins protectrice des droits et intérêts des victimes que la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et la jurisprudence des juridictions belges.
Par comparaison avec les juges de l'UE, les juges de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et les juges belges apparaissent par exemple appliquer, au bénéfice des victimes et des employés opposés à leur employeur, une conception plus exigeante de l'obligation d'égalité des armes et une vision plus favorable aux victimes de la charge de la preuve en matière de discrimination et de harcèlement, dans les procédures civiles.
Dans le même esprit, la Cour Européenne des Droits de l'Homme et les juridictions pénales belges apparaissent reconnaître avec moins de restrictions que les juges de l'UE des situations de complicité ou de coresponsabilité personnelle pour des faits de harcèlement collectif impliquant la collaboration de plusieurs membres d'une même administration, y compris lorsque ces membres sont liés par des relations hiérarchiques.
Autre exemple de disparité illégitime entre le cadre légal et judiciaire de droit commun et les règles et pratiques appliquées par les institutions de l'UE, grâce en particulier à une mise à jour récente inspirée par l'évolution de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l'Homme et par les dispositions de la convention 190 et de la recommandation 206 de l'OIT sur la violence et le harcèlement au travail, la loi belge du 7 avril 2023, adaptant la loi de 1996 sur le bien-être au travail, prévoit une protection particulièrement robuste des auteurs de plainte pour harcèlement ou discrimination contre des mesures défavorables prises à leur encontre par leur employeur. Le non-respect de ces dispositions est passible de poursuites pénales, au titre des dispositions du code pénal social portant sur le harcèlement au travail. Or cette protection prévue par la loi belge et par la Convention 190 de l'OIT contraste fortement avec la pratique de nombreuses administrations de l'UE restreignant aux seules « sanctions » formelles les mesures négatives assimilables à des représailles contre les auteurs de signalement de harcèlement ou discrimination.
Bien que les institutions de l'UE soient en principe tenues de respecter strictement la loi des Etats sur le territoire desquels elles sont établies, y compris les obligations et prohibitions dont le non-respect est sanctionné pénalement, les juges de l'UE n'apparaissent pas donner à la législation pénale belge pertinente en matière de harcèlement et discrimination au travail tout le poids requis dans leur mission de contrôle juridictionnel de l'action des institutions de l'UE.
De ce fait, l'intervention des juges de l'UE dans les litiges de harcèlement moral et de discrimination impliquant des employés de l'UE ne suffli en général pas par elle-même à garantir aux victimes la pleine application de l'intégralité des droits prévus par la loi pénale nationale alors pourtant que ces droits ne peuvent aucunement être restreints en raison de la soumission de leurs relations de travail avec les administrations de l'UE aux règles dérogatoires inscrites dans le statut des fonctionnaires et les règles applicables aux autres employés de l'UE. A minima, les restrictions au droit des employés de l'UE de solliciter l'intervention des juridictions pénales pour des faits de harcèlement et discrimination impliquant d’autres employés de l’UE devraient satisfaire aux conditions très clairement énoncées par la Cour Européenne des Droits de l'Homme dans les deux guides produits par le greffe de cette Cour pour la mise en œuvre de l'article 6.
Aux conséquences de la doctrine et de la pratique des juges de l'UE s'ajoutent celles de la réticence manifeste des administrations de l'UE à voir se développer l'intervention des juridictions pénales compétentes dans les litiges de harcèlement moral et de discrimination, même voire surtout lorsque la législation pénale de l'Etat concerné apparaît particulièrement protectrice pour les victimes de harcèlement et de discrimination et que des sanctions significatives sont prévues par cette législation à l’encontre des auteurs de faits de harcèlement et discrimination.
Dans certains cas, et en particulier celui du SEAE, une telle réticence peut susciter de la part d'administrations de l'UE des pratiques récurrentes d'obstruction délibérée à la saisine des juridictions pénales des Etats membres pourtant seules compétentes pour établir la violation de dispositions pertinentes de la législation de ces Etats, que les Institutions de l’UE sont tenues de respecter strictement, quelle que soit la portée concrète des immunités qui leur ont été accordées.
Le résultat concret des attitudes respectives des juges de l'UE et des administrations de l'UE vis-à-vis de l'application du droit national et en particulier du droit pénal apparaît de manière peu contestable comme une moindre protection des victimes de harcèlement moral et de discrimination des employés de l'UE par rapport aux autres travailleurs employés sur le territoire belge, et surtout comme une apparente impunité pénale pour les auteurs de faits de harcèlement moral commis au sein des institutions de l'UE.
Et une fois encore, une autre facette de cette réalité est que les institutions de l'UE peuvent à la fols contribuer à renforcer le dispositif législatif de prévention et de lutte contre le harcèlement pour les travailleurs et les employeurs de l'UE et s'abstenir de se soumettre strictement aux disciplines générales appliquées à ces employeurs, sans accorder à leurs propres employés la plénitude des droits reconnus à tous les autres travailleurs et citoyens.
Il faut remédier aux possibles ambiguïtés de la loi en matière de harcèlement et de discrimination et corriger les interprétations erronées qu'en font certaines administrations de l'UE, involontairement ou pas
L'action de certaines administrations de l'UE en matière de traitement des affaires de discrimination et de harcèlement au travail reflète une espèce d'auto-exonération manifestement abusive des règles et disciplines générales valables pour tous les travailleurs et employeurs de Belgique, y compris pour ce qui concerne la pleine acceptation de la compétence des juridictions pénales belges et le droit des employés de l'UE de solliciter leur intervention. Une telle auto-exonération peut d'ailleurs être explicitement assumée et justifiée dans des mémoires soumis au Tribunal ou à la Cour de Justice de l'UE, ainsi que par des écrits formellement approuvés par les plus hautes autorités de ces administrations. C’est notamment et de manière irréfutable le cas du SEAE, qui mérite de ce fait une attention particulière de la part de la Chambre.
Pas d'application du droit pénal belge aux faits de harcèlement et de discrimination commis au sein des institutions de l'UE établies en Belgique et les juridictions pénales belges incompétentes pour ces faits?
La doctrine qui peut être déduite des actions ou carences concrètes du SEAE en matière de traitement des faits de harcèlement moral et de discrimination traduit une vision manifestement partagée et validée par les dirigeants de cette administration selon laquelle les règles et principes énoncés par les conventions internationales et les directives pertinentes ou par le droit pénal belge ne lui sont pas opposables et que ses employés ne sont pas fondés à revendiquer des droits prévus par la législation pénale belge pour des faits commis sur le territoire belge et passibles de sanctions pénales. Cette vision, défendue notamment à travers des écrits formels signés par le Secrétaire Général du SEAE (note du 26 septembre 2021) ou par sa directrice des ressources humaines (note du 8 juin 2021), implique en particulier un déni tout à fait explicite par le SEAE de la compétence des juridictions pénales belges pour des faits de harcèlement moral ou de discrimination commis au sein des institutions de l'UE opérant sur le territoire belge.
Dans une note du 26 septembre 2021, le Secrétaire Général du SEAE affirme catégoriquement que « les tribunaux belges ne sont pas compétents (...): la Cour de Justice a une juridiction exclusive sur les affaires du personnel de l'UE (Article 270 TFEU). (...) Les relations entre les fonctionnaires et les institutions sont régies exclusivement par les Traités et le Statut. Le droit du travail belge (y compris le cadre juridique belge relatif au harcèlement) n'est pas applicable aux relations statutaires du personnel de l'UE. »
La non-application du droit du travail ordinaire belge aux employés de l'UE est un fait trivial, tout comme la compétence exclusive des juges de l'UE pour apprécier l’application des dispositions du Statut des fonctionnaires de l'UE et des règles applicables aux autres agents de l'UE. Mais de cette double évidence, le SEAE ne peut évidemment pas déduire la non-application de dispositions du droit pénal belge.
Les dispositions pénales relatives aux faits de harcèlement et discrimination au travail, applicables à tous les citoyens et résidents belges et à toutes les personnes morales établies sur le territoire belge, sont, sans aucune ambiguïté, distinctes du droit du travail ordinaire belge. Elles ne sont pas intégrées dans le code du travail belge, qui ne s'applique bien sûr ni au SEAE ou aux autres institutions de l'UE ni à leurs employés. Mais elles sont intégrées dans le code pénal et dans le code pénal social, vis-à-vis duquel le statut des fonctionnaires de l'UE ne peut certainement pas être envisagé comme «jus specialis », comme le prétend de manière tout à fait erronée le SEAE pour ces matières pénales. Les relations entre les employés des institutions européennes et ces institutions, pas plus que les relations entre ces employés eux-mêmes ne sont par ailleurs pas «régies exclusivement par les Traités et le Statut » comme l'affirme le SEAE. Elles relèvent du droit pénal belge pour les faits constitutifs d'infractions et délits passibles de sanctions selon ce droit, et elles sont évidemment également soumises aux règles pertinentes découlant des normes juridiques supérieures aux Traités et au Statut, qu'il s’agisse de la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE ou de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Le SEAE omet évidemment le fait que le Tribunal et la Cour de Justice de l'UE n'ont aucune compétence en matière pénale. Le SEAE omet également le fait que le Tribunal et la Cour de Justice de l'UE n'ont pas de compétence pour trancher un litige portant sur la responsabilité personnelle d'un auteur de faits de harcèlement et la réparation du préjudice subi par sa victime du fait d'agissements personnellement imputables à cet auteur.
Avec ces omissions, la thèse juridique développée par le SEAE impliquerait donc logiquement que des faits de harcèlement moral et de discrimination commis à l'intérieur des services des institutions de l'UE sur le territoire belge échapperaient à toute espèce de sanction pénale s'ils ne pouvaient être soumis qu'au jugement du Tribunal et de la Cour de Justice de l'UE, dépourvus de toute compétence pénale, et non pas au jugement des juridictions pénales belges. Ce qui constituerait évidemment une aberration juridique et politique patente et reviendrait à admettre l’existence en Belgique d’une zone de non-droit, autour du quartier européen de Bruxelles, dans laquelle les auteurs de faits de harcèlement ou de discrimination jouiraient d’une impunité pénale absolue tandis que leurs victimes seraient privées de droits fondamentaux garantis par la Constitution, la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE et de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
Un pouvoir d'administration de la justice ou de mise en accusation auto-attribué pour le SEAE ?
Au-delà de ses affirmations clairement erronées sur l'application du droit pénal et la compétence des juridictions pénales nationales, de son oubli de l'absence de toute compétence des juges de l'UE en matière pénale et de sa méconnaissance apparente des débats politiques et juridiques délicats ayant entouré la mise sur pied de l'institution du Parquet Européen et la délimitation des compétences des juridictions nationales et des juridictions de l'UE, le SEAE semble s'être auto-attribué une espèce de pouvoir d'administration de la justice ou une fonction de mise en accusation, évidemment l'un et l'autre dénués de tout fondement et mettant sérieusement en cause l'architecture du système judiciaire belge.
Le SEAE, administration de l'UE, s'arroge en effet de manière aberrante le pouvoir de subordonner la saisine de juridictions nationales belges par les victimes de faits possiblement délictueux en Belgique à sa propre appréciation de l'opportunité de cette saisine mais aussi de sa conformité à des règles imaginaires de subsidiarité et de délimitation des compétences des juridictions de l'UE et des juridictions des Etats membres. Ces règles imaginaires ne découlent pas des traités mais traduisent en revanche une politique d'obstruction délibérée du SEAE à l'exercice par des employés victimes de harcèlement ou de discrimination de leur droit à saisir les juridictions belges, seules juridictions compétentes pour apprécier l'existence de possibles infractions pénales et les sanctionner.
Une méconnaissance patente des droits fondamentaux garantis par l'article 6 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme et par l’article 47 de la Charte des Droits Fondamentaux
Le SEAE fonde son prétendu pouvoir d'interdiction de la saisine d'une juridiction pénale belge sur l'article 19 du Statut des fonctionnaires de l’UE, en faisant de cet article une interprétation manifestement abusive et constitutive d'une violation de l'article 6 de la CEDH. En pratique (et sans invoquer expressément aucun « intérêt supérieur de l'UE ») le SEAE prétend en effet pouvoir interdire catégoriquement la saisine de juridictions pénales par un de ses employés, ce qui revient à vider de toute portée le droit prévu par cet article 6 de la CEDH.
Il apparaît de plus particulièrement dérangeant qu'une administration de l'UE estime qu'invoquer le seul règlement définissaril le statut des fonctionnaires et son article 19 puisse constituer une Justification valide pour non seulement limiter mais en pratique annuler un droit fondamental garanti par la CEDH et par la Charte des Droits Fondamentaux.
Une lecture abusive des immunités de juridiction accordées aux institutions de l'UE par les Etats membres et un oubli apparent de l'obligation de respecter la loi des Etats-hôtes
Le SEAE, qui est responsable de l'action des délégations de l'UE dans les pays tiers, a édicté à l'intention de ces délégations des instructions particulièrement claires en matière d'application de la Convention de Vienne sur les privilèges et immunités diplomatiques et plus particulièrement en matière d'usage des immunités juridictionnelles accordées par les Etats-hôtes. Or, il apparaît que les principes auxquels les délégations de l’UE sont appelées à se conformer dans les pays tiers ne sont manifestement pas reconnus et respectés aussi clairement qu'ils devraient l'être par le SEAE vis-à-vis de la Belgique en tant qu'Etat-hôte ayant consenti des immunités et privilèges, incluant une immunité de juridiction analogue aux immunités accordées aux délégations de l'UE.
Le « guide des délégations » élaboré par le SEAE rappelle en effet l'évidence suivante : «Article 31 of the Vienna Convention sets out that immunity from criminal jurisdiction is unqualified. However, this does not diminish in any way the individual's criminal or civil responsibility, it simply suspends the criminal or civil proceedings. Local law must be respected at all times".
La théorie régulièrement invoquée pat le SEAE, et évidemment erronée, selon laquelle les règles et principes posés par des directives de l’UE ou par des conventions internationales n'engageraient que les Etats et ne seraient pas opposables aux institutions de l'UE elles-mêmes omet un élément fondamental qui est pourtant rappelé par le SEAE lui-même dans ses instructions aux délégations de l'UE : le bénéfice d'immunités de juridiction ne diminue en rien l'obligation permanente et absolue de respecter la loi du pays hôte. Et dans la mesure où la loi belge est conforme aux directives et aux conventions internationales pertinentes en matière de harcèlement et discrimination au travail, il ne peut être question pour le SEAE, pas plus que pour toute autre institution de l'UE établie en Belgique, de s'estimer délié de l'obligation de se conformer aux principes et disciplines essentielles stipulées par la loi belge et par ces directives et conventions internationales, comme le suggère pourtant la doctrine aberrante défendue par le SEAE.
Une pratique abusive en matière de levée de l’immunité de juridiction d’employés mis en cause pour de possibles infractions et délits
Une question un peu différente mais évidemment connexe est celle de la pratique effective du SEAE et des autres institutions de l'UE en matière de levée des immunités d'employés mis en cause dans des procédures judiciaires devant des juridictions nationales belges.
Il est peut-être temps pour les Etats membres de l'UE de reconsidérer cette question à la lumière de l'évolution de la relation entre les administrations de l'UE, les autres administrations publiques et l'ensemble de nos sociétés. Est-il raisonnable aujourd'hui de vouloir préserver un régime juridictionnel dérogatoire pour des administrations européennes supposées s'intégrer toujours plus étroitement aux systèmes de gouvernance publique de nos Etats et collectivités locales et se rapprocher autant que possible des citoyens, lesquels incluent les employés des administrations publiques nationales et locales, qui ne bénéficient pas d'immunités de juridiction comparables à celles qui ont été accordées aux institutions de l'UE il y a plus de 70 ans?
Le régime juridictionnel dérogatoire organisé par le protocole №7 sur les privilèges et immunités accordés aux institutions de l’UE et à leurs agents et annexé au traité sur le fonctionnement de l’UE mérite d’autant plus un examen critique de la part des Etats membres que les administrations de l’UE peuvent apparaître en faire en pratique un usage abusif. En ignorant simplement des demandes de levée de l’immunité de juridiction présentées par une instance judiciaire pénale belge, ces administrations peuvent en effet faire définitivement obstruction à l’action de la justice.
La Chambre pourrait utilement se pencher sur les situations dans lesquelles le refus d’une institution de l’UE de donner une suite positive à la demande de levée d’immunité n’est étayé par aucune motivation invoquant la protection des intérêts supérieurs de l'Union Européenne, qui constituerait une justification légitime de ce refus, conformément au protocole №7.
Comme l’avait relevé l’avocate générale de la Cour de Justice de l’UE dans ses conclusions sur l’affaire C831/18, « il ressort de la jurisprudence de la Cour qu’il s'agit là du seul critère de fond permettant de refuser de lever l'immunité. Dans le cas contraire, l’immunité devrait être levée systématiquement, le protocole no 7 ne permettant pas aux institutions de l’Union d’exercer un contrôle quant au bien-fondé ou au caractère équitable de la procédure judiciaire nationale sous-jacente à la demande ».
Une action de l’Etat belge apparaît nécessaire pour ne plus permettre qu’une institution de l’UE puisse refuser sans motif légitime ou simplement ignorer une demande de levée d’immunité, a fortiori si une telle obstruction à l’action de la justice belge se fonde sur la prérogative qu’une telle institution s’arrogerait indûment de considérer comme infondée la procédure judiciaire pénale belge concernée et, plus radicalement, comme incompétentes les instances judiciaires pénales belges pour statuer sur de possibles infractions ou délits commis sur le territoire belge par des employés d’institutions de l'UE. Ce qui correspond à la position actuellement soutenue par le SEAE.
L'inertie opposée par une institution de l’UE à une demande de levée d’immunité peut avoir pour conséquence concrète de priver complètement et définitivement une victime de faits pénalement sanctionnables de la faculté d’exercer des droits fondamentaux prévus par la Convention Européenne des Droits de l’Homme et par la Charte des Droits Fondamentaux de l’UE, dès lors que l’institution qui entraverait ainsi l’action de la justice belge pourrait persister dans son refus de levée d’immunité au-delà du délai de prescription des faits dénoncés.
Un tel usage manifestement abusif de l’immunité de juridiction constitue un manquement sérieux aux obligations des institutions de l’UE vis-à-vis des Etats membres prévues par le protocole №7. Il semblerait donc légitime et nécessaire que, chaque fois qu'une telle situation se présente, l'Etat belge notifie formellement à l’autorité de tutelle de l’institution concernée l’illégalité d’un refus non motivé de répondre positivement à la demande de levée d’immunité qui lui a été adressée. Et si une telle démarche était infructueuse il reviendrait à l’Etat belge de faire respecter les prérogatives de ses instances judiciaires et de ramener l’institution de l’UE concernée au respect des Traités européens en saisissant le Tribunal de l’UE de ce refus indu de levée d’immunité.
Cette pétition a reçu une réponse:
Lors de sa réunion du 8 juillet 2025, la commission des Pétitions a transmis cette pétition à la commission de la Justice et à la ministre de la Justice, chargée de la Mer du Nord.
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